Plus fréquentes et imprévisibles
Comment le changement climatique et les inondations affectent-ils les agriculteurs au Bangladesh
Jusqu’à l’été dernier, Hena Khatun ne tentait même pas de planter des légumes sur son terrain minuscule. Chaque année, les eaux de crue de la rivière Jamuna menaçaient de recouvrir la petite parcelle de terre où elle vit dans le nord-ouest du Bangladesh, à 48 km de la ville de Bogura. Trouver un « chez soi » est un équilibre fragile pour Khatun et pour beaucoup d’autres qui vivent le long de cet immense fleuve. L’un des plus grands fleuves tressés du monde, il peut s’étendre jusqu’à 4 km de large avec des bancs de sable si vastes que des gens y vivent. Ils ne sont pas propriétaires des terres et, lorsque les inondations surviennent, ils sont obligés de partir soudainement à la recherche du moindre lopin de terre disponible. Ou alors, ils doivent s’installer ailleurs et devenir des migrants climatiques, choix que la plupart ne veulent pas, ou ne peuvent pas prendre.
Malheureusement, les cycles constants d’inondations ne sont pas sur le point de disparaître et la montée des eaux revient plus souvent. Cependant, comment peuvent-ils se permettre de tout recommencer ailleurs ?
Inondations, sécheresse et saisons imprévisibles
Le Bangladesh est un pays de basse altitude, truffé de rivières et de cours d’eau. Cela signifie que le Bangladesh figure également au premier rang des pays vulnérables au changement climatique. En 2021, le Bangladesh a été classé au 7e rang de l’indice mondial des risques climatiques, bien qu’il se situe au 175e rang pour ce qui est des émissions de CO2 par habitant. Si le sud du pays fait souvent parler de lui en raison de l’élévation du niveau des mers et de l’augmentation de la salinité des sols, le nord du pays (où vit Khatun) subit lui aussi les effets du changement climatique.
Ces communautés nordiques subissent des inondations à répétition depuis de nombreuses années. Cependant, alors que le réchauffement planétaire ne cesse de s’aggraver, les pluies deviennent de plus en plus torrentielles et les glaciers de l’Himalaya fondent plus rapidement, ce qui rend les inondations plus fréquentes et plus durables.
« Si vous parlez avec les gens, ils vous diront qu’avant, les inondations avaient lieu une ou deux fois par an. Maintenant, c’est quatre ou cinq fois », explique Arefur Rahaman, coordinateur de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance pour le MCC au Bangladesh. « Parfois, les inondations frappent le Bangladesh de manière fréquente, parfois de manière imprévisible. »
Chaque fois que les eaux montent, les familles sont déracinées et doivent rebâtir leur maison et reconstituer leurs moyens de subsistance à partir de zéro. Parfois, les inondations emportent les biens et le bétail également.
Nikhil Chandra Mondol et son épouse, Ovagini Rani, ont vu leur maison emportée par les eaux cinq fois au cours de leur vie. Nikhil explique que chaque fois ils ont réussi à trouver un lieu pour reconstruire une maison au bord de la rivière. Dans leur nouvel emplacement, il a utilisé le sable de la rivière pour progressivement monter un plateau sur lequel il a pu bâtir leur maison. Leur maison se situe à environ quinze mètres au-dessus du niveau de l’eau et à quelques kilomètres de la rivière. Chaque année, il recouvre le plateau de terre. Ce plateau a résisté à trois années d’inondations, y compris deux années durant lesquelles la rivière a monté si haut qu’elle a amené des poissons jusqu’à leur porte.
Si les inondations constituent une menace croissante, les agriculteurs sont également confrontés à la sécheresse à d’autres périodes de l’année. Parfois, ils se trouvent confrontés à une saison des pluies durant laquelle la pluie est moins abondante que prévu, ou à des saisons sèches plus longues et plus chaudes, qui assèchent les étangs et les nappes phréatiques. « [Les gens] souffrent de la sécheresse devenue de plus en plus fréquente parce qu’ils doivent utiliser beaucoup d’eau souterraine pour leurs cultures, explique Arefur Rahaman. À cause du changement climatique, on ne reçoit parfois aucune pluie pendant plusieurs mois. »
Autrefois, les agriculteurs pouvaient compter sur six saisons distinctes tout au long de l’année. Ils savaient quoi semer et quand semer. Aujourd’hui, les saisons se mélangent, ce qui rend l’agriculture plus difficile. « Ils possèdent quelques [savoirs] traditionnels, explique-t-il, mais aujourd’hui, leurs connaissances ne leur servent plus. Ils ne peuvent plus prédire quelle est la saison des récoltes ni quand ils doivent semer. »
La pénurie de ressources nuit à la paix
Les inondations et les sécheresses représentent un défi permanent pour les agriculteurs qui se retrouvent sans nourriture ni revenu suffisant pour subvenir aux besoins de leur famille. Cette pénurie peut constituer une source de stress et nuit à la paix et au bien-être de l’ensemble de la communauté.
Le manque de ressources se trouve à l’origine de conflits entre les gens. Lorsqu’il y a pénurie de nourriture, les gens se mettent naturellement à rivaliser les uns avec les autres pour subvenir aux besoins de leur propre famille. « En raison des changements climatiques, les gens perdent une grande partie de leurs biens, explique Arefur. Et à cause de cette pénurie de biens, ils entrent en conflit les uns avec les autres. »
Les déplacements constants pour éviter les inondations contribuent parfois à l’incapacité d’une famille à satisfaire ses besoins fondamentaux et à mener une vie décente. « Ils subissent le stress de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, explique Arefur. Si vous avez faim, la paix ne peut pas s’installer dans votre esprit. Donc, pour vivre en paix, il faut d’abord de la nourriture. Je pense donc que la sécurité alimentaire constitue un élément qui contribue à la paix. »
Selon Arefur, aider les communautés à s’adapter au changement climatique, à cultiver ce dont elles ont besoin et à subvenir à leurs besoins est une façon pour les partenaires du MCC de contribuer à la paix dans la communauté. « Si nous œuvrons à atténuer les effets du changement climatique ou à favoriser les activités pour s’y adapter, cela aidera les membres de la communauté [à se maintenir en vie]. Le conflit s’atténuera alors et, à terme, il se transformera en paix. »
« Si nous œuvrons à atténuer les effets du changement climatique ou à favoriser les activités pour s’y adapter, cela aidera les membres de la communauté [à se maintenir en vie]. Le conflit s’atténuera alors et, à terme, il se transformera en paix. »
Arefur Rahaman
Coordinateur de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance
Les partenaires du MCC soutiennent l’adaptation au climat
Le partenaire du MCC, Maitree Palli Unnayan Sangathon (MPUS), aide les familles à s’adapter aux changements climatiques afin qu’elles puissent gagner leur vie. Cette année Khatun, la femme qui n’avait jamais osé planter un potager dans sa petite cour, possède maintenant une cour remplie de raisons de croire qu’elle sera en mesure de nourrir et de prendre soin de sa famille.
Pour aider les riverains à s’adapter à un environnement de plus en plus difficile, MPUS met en œuvre un projet de quatre ans qui encourage les participants, en particulier les femmes, à cultiver des aliments chez eux. Les femmes de la communauté en apprennent aussi davantage sur les techniques de jardinage et la nutrition grâce aux réunions de MPUS organisées dans les cours. Chaque semaine, 36 groupes de 20 femmes se réunissent pour assister à des démonstrations de techniques de jardinage.
Après avoir appris quelques techniques nouvelles, Khatun fait pousser des aubergines, des piments et des choux dans des sacs placés sur les étagères ascendantes d’une structure en bambou pyramidale de 2,5 m. de haut. On appelle cela un jardin en trois dimensions. D’autres aubergines poussent dans des sacs suspendus, hors d’atteinte de la montée des eaux ou déplaçables si nécessaire. Les gourdes (un ingrédient favori de la cuisine bengalie) poussent sur des lianes qui s’étendent sur une canopée de bambou.
Les familles apprennent également différentes mesures pour protéger leurs animaux des eaux de crue. Par exemple, Khatun a construit une plate-forme surélevée à l’intérieur de son modeste abri ; créant ainsi un deuxième étage, de sorte que la chèvre qu’elle a reçue de MPUS peut se réfugier en toute sécurité à l’abri de la montée des eaux.
« Je suis fière de ce jardin », déclare Khatun. Elle montre un citronnier qui pousse maintenant près de sa maison. « Auparavant, j’achetais des citrons au marché, mais maintenant je n’ai plus besoin d’en acheter. » Pour l’instant, elle cuisine ce qui pousse, mais à mesure que le jardin mûrit et que ses compétences s’améliorent, elle espère vendre des produits excédentaires.
« Les autres femmes sont très impressionnées par mon potager, explique Khatun. Elles apprennent aussi. Elles n’ont jamais vu de légumes pousser dans des sacs. Elles sont donc très heureuses de découvrir mon jardin et s’y intéressent beaucoup. »
Des voisines curieuses, c’est exactement ce que MPUS espérait lorsqu’il a aidé Khatun à transformer sa cour vide en un terrain de démonstration, appelé « maison innovante ». Si les voisines voient que les nouvelles idées qu’ils n’avaient jamais vues auparavant fonctionnent pour Khatun, elles deviennent plus susceptibles de les expérimenter elles-mêmes.
En plus des jardins, les familles apprennent différentes mesures pour protéger leurs animaux des eaux de crue. Par exemple, une plate-forme surélevée construite à l’intérieur de l'abri modeste de Khatun crée un deuxième étage. Ainsi la chèvre qu’elle a reçue de MPUS dispose d’un refuge sûr contre la montée des eaux. Lorsque cette chèvre mettra bas, elle partagera la première
femelle avec une autre femme de la communauté, puis utilisera les futurs chevreaux pour agrandir son propre troupeau ou pour les vendre, générant ainsi plus de revenus pour la famille.
Une autre technique inhabituelle que MPUS enseigne dans la région consiste à créer un jardin flottant sur l’eau stagnante près de la rivière. Fabriqués avec de la jacinthe d’eau, une plante qui flotte naturellement, les jardins s’élèvent lorsque la rivière déborde ou lors de fortes pluies. Les jardins permettent aux agriculteurs de cultiver des plantes malgré les inondations et constituent un moyen utile de réaffecter cette plante qui est une espèce envahissante susceptible d’obstruer les cours d’eau.
En octobre, Zahidul Islam et quatre femmes ont pataugé dans un étang près de leurs maisons qui ne possèdent pas de jardin, pour montrer comment construire un jardin flottant. Ils ont ramassé des brassées de jacinthe d’eau, avec leurs racines et leurs feuilles entrelacées, les empilant les unes sur les autres pour former un lit rectangulaire.
Zahidul a marché sur le lit et s’est servi d’une machette pour réduire la couche supérieure de jacinthe d’eau en petits morceaux. Au cours des deux ou trois semaines suivantes, le groupe continuera à ajouter de la jacinthe d’eau et à la couper jusqu’à ce que le lit devienne suffisamment dense. Ensuite, ils ajouteront du compost et sèmeront des graines pour les cultures d’hiver.
Bien que l’étang s’assèche vers le mois de décembre, Zahidul affirme qu’il peut encore y planter des piments pendant l’hiver et le reconstruire au début de l’été pour la saison des pluies. Il dit qu’il peut cultiver suffisamment de plantes pour nourrir sa famille de six personnes, et vendre le surplus au marché. Apprendre à cultiver sa propre nourriture sur une petite surface, même si elle est inondée, est essentiel pour la nutrition et la santé des familles vivant le long de la rivière, dont beaucoup souffrent de malnutrition, explique Arefur Rahaman.
Ces nouvelles techniques agricoles contribuent également à apporter une plus grande paix à la communauté dans son ensemble. « En raison du changement climatique, nous sommes confrontés à des pénuries, à l’insécurité alimentaire, à l’insécurité nutritionnelle, à l’insécurité des biens, à l’insécurité tout court. Mais grâce à nos projets… grâce à nos technologies, les participants seront en mesure de développer leurs capacités afin de survivre en cas de catastrophe. Cela les aidera à comprendre qu’ils ont au moins un moyen de survivre et n’ont donc pas à se disputer. »
Besoin de plus de soutien
Au Bangladesh, et dans le monde entier, les partenaires du MCC tels que MPUS aident les communautés à s’adapter au changement climatique. Mais ils ont des limites. Ils ont besoin de plus de soutien dans leurs efforts d’adaptation. Toutefois, ils ont surtout besoin de mettre un terme à la progression du changement climatique, ce qui signifie que les pays qui émettent le plus de gaz à effet de serre doivent agir.
Vous pouvez soutenir des communautés comme celle de Khatun en faisant part de vos préoccupations concernant le changement climatique et ses conséquences à vos représentants gouvernementaux. Élever la voix pour attirer l’attention sur les effets du changement climatique est une façon de contribuer à créer un avenir plus pacifique pour les communautés du Bangladesh et d’ailleurs. Vous pouvez signer l’une de ces lettres de plaidoyer dès aujourd’hui en vous inscrivant à : Mois d’actions climatiques pour la paix, ou en découvrant d’autres façons de vous impliquer ici.
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